En République démocratique du Congo (RDC), dans des cas de violences sexuelles, la société a souvent tendance à rejeter la faute sur les survivantes que sur les bourreaux. Cette attitude plonge la survivante dans la honte, la frustration et ça la dégrade.
Face à la dénonciation d’une violence ou d’un viol, plusieurs membres de la communauté ont des réactions envers les survivantes consistant à leur coller des étiquettes. La survivante se sent gênée car la société manifeste un comportement d’abandon et de rejet à son égard. D’autres, par peur d’être confronté à la stigmatisation se rétractent, se taisent en se refusant de dénoncer. La stigmatisation est donc la raison majeure qui réduit plusieurs survivantes des violences sexuelles dans le silence.
Sylvie (nom d’emprunt) témoigne d’un cas de stigmatisation après un viol. Elle raconte la situation qu’a vécu l’une de ses nièces après avoir été victime d’un viol en 2017.
Rebecca (nom d’emprunt) est une adolescente de 15 ans qui vit avec sa mère et ses 2 frères. En 2017 elle a été violée par un jeune garçon âgé de 21 ans dont sa famille et celle de Rebecca partageait la même cour. Celui-ci avait été poursuivi, condamné et arrêté. Après la bataille devant les tribunaux, une autre bataille les attendait dans leur communauté (quartier et avenue). C’était une situation très éprouvante pour Rebecca et pour toute sa famille. “ Au début de l’affaire nous avions le soutien des amis et connaissances, de voisins brefs de la communauté. Tout le monde venait consoler la famille l’encourager par rapport à ce qui est arrivé à ma nièce. « reconnaît-elle. “Mais au bout d’un moment les voisins, les gens du quartier avaient développé une sorte d’indifférence, un regard différent sur l’enfant. Certains parents même refusaient à leurs enfants, qui étaient amis à Rebecca, de la fréquenter”.
D’après Sylvie, même sans rien dire la petite Rebecca subissait un rejet systématique de la part de son entourage. “Une fille déshonorée ne pouvait s’approcher de leurs enfants et que sa réputation pourrait facilement ternir celle de leurs enfants.” C’est ce qui se disait tout bas, confie Sylvie.
Sylvie raconte que même quand il y avait des nouveaux venus dans le quartier ou sur l’avenue, ils finissaient toujours par apprendre concernant le viol de Rebecca. La nouvelle se répandait et certaines personnes courageuses lui poser des questions sur la véracité de l’histoire du viol. Et quand ça lui arrivait elle rentrait toujours en larmes à la maison.
Cette situation avait pour conséquence le renfermement, une forte timidité qui a fait que Rebecca n’avait plus d’ami-es. Sa vie était devenue insupportable. Elle reprenait courage grâce aux conseils et l’implication de ses parents. Ces derniers lui ont trouvé un psychologue pour l’aider mais cela n’était pas suffisant car Rébecca n’avait pas la force d’affronter cette stigmatisation tout en restant dans le même environnement où le regard des gens étaient plus expressifs que les mots. D’où il fallait impérativement changer d’environnement malgré la thérapie.
Ce n’est qu’à la suite du déménagement que Rébecca et sa famille ont pu respirer un air frais loin des regards des médisants.
Une dénonciation qui se retourne contre la victime.
“J’ai lutté et je me suis débarrassé de lui et j’ai couru jusqu’à la police pour le dénoncer. Ce n’était pas la première fois qu’il pose un tel acte cette fois ça été la goutte qui a fait déborder la marmite” confie Rachel. Rachel est une jeune fille de la vingtaine révolue, vendeuse dans une pharmacie de place. Elle a été victime d’une tentative de viol, en 2019, qui engendra la stigmatisation dans la commune de Ngiri ngiri à Kinshasa.
L’arrestation du patron de Rachel a attiré la curiosité des voisins et des passants. “Pour beaucoup, je suis passé pour la méchante. Après ma déposition au niveau de la police, mon patron a tout nié en bloc en me faisant passer pour une menteuse”, regrette-t-elle.
Comme la pharmacie n’était pas éloignée de son quartier, la nouvelle s’est très vite répandue. Certains l’ont crû et compris mais d’autres disaient qu’elle devait régler les choses à l’amiable plutôt que de le dénoncer à la police. “Comme mon chef était très connu, il m’a fait passer pour quelqu’un qui l’avait piégé pour lui soutirer de l’argent. Il a réussi à me faire détester dans tout le quartier”, s’indigne-t-elle.
Rachel face à un double problème: la stigmatisation et le chômage… car elle avait démissionné de son travail et avait du mal à en trouver un autre dans le même environnement. Ce n’est qu’au bout de 4 mois et quelques jours que Rachel à finalement trouver un autre emploi dans un dépôt pharmaceutique dans le centre-ville.
Nécessité d’une loi spécifique contre la stigmatisation
Selon Eunice Etaka, juriste de formation et activiste des droits humains, la stigmatisation est un problème culturel, sociétal et une question d’éthique. Les gens ont tendance à minimiser le viol et accentuer la souillure comme si la victime était responsable. L’on peut bien voir pour un auteur de viol de reprendre le cours de vie normalement mais c’est difficile pour une survivante du même acte, de se relever. “Ce sont les attitudes que la société devrait abandonner parce que la stigmatisation est basée sur la discrimination”, souligne Eunice. Selon elle, la stigmatisation des survivant-es des violences sexuelles viole la loi du 20 juillet 2006 sur les violences sexuelles et du code pénal congolais qui stipule à son article 170 alinéa 1 que; “Tant qu’on n’a pas mis ce problème de stigmatisation sur la table des discussions au parlement et au niveau des organisations de la société civile rien ne sera fait et les communautés demeurent dans l’ignorance d’où il faut trouver des solutions», explique-t-elle et de préciser que: « Les survivantes de violences sexuelles ont le droit de vivre normalement. Elles n’ont pas cherché à être victimes », explique-t-elle.
A en croire cette juriste, il est important que les communautés soient sensibilisées à compatir et non à stigmatiser ou discriminer les survivantes des violences sexuelles. Il faut qu’au niveau de médias l’on puisse organiser des émissions pour dénoncer les actes de stigmatisations.
Pour cette activiste de droits humains il faut sensibiliser au niveau de la communauté, au niveau de la famille, même au niveau de magistrat car, certaines survivantes sont parfois même stigmatisées devant les cours et tribunaux. Les juges doivent faire preuve d’une grande délicatesse lorsqu’ils interrogent les survivantes à propos de leur passer et des agressions qu’elles ont subies. La sensibilisation doit être faite à tout le niveau pour réduire si pas, éradiquer la stigmatisation des survivantes des violences sexuelles et celles basées sur le genre. Il faut aussi que les législateurs réfléchissent et proposent une loi spécifique pour qu’il y ait une loi qui condamne expressément la stigmatisation. « Mais en attendant la loi, il faut sensibiliser suffisamment la population à plus d’humanité face aux survivantes car elles souffrent doublement », conclut-elle.
Accompagnement à travers les formations et sensibilisation des survivant-es et communautés.
Pour sa part Elsie Lotendo, coordonnatrice de l’asbl Bisobasi telema indique que, pour sa plate-forme, la majorité de cas de stigmatisation qu’elle traite sont des viols et violences conjugales. “Après avoir subi ces atrocités, ces femmes se sentent dévalorisées à cause des préjugés que la société porte sur elles et cela cause la perte de confiance en elles qui les pousse à se renfermer sur elles-mêmes”, révèle-t-elle.
A travers son ASBL, Elsie Lotendo aide les survivantes de stigmatisation, à reprendre confiance en elles meme et à accepter leurs situations pour en faire leurs forces. Grâce aux partenariats avec des psychologues sociaux, les survivantes suivent des thérapies. “Nous les accompagnons également à travers des formations sur les droits des femmes et leurs importances en tant qu’humain et femmes dans la société afin de leurs permettre à se sentir utiles pour la société et cela malgré des atrocités qu’elles ont vécues dans leurs vies”, explique Elsie.
Bisobasi telema œuvre également dans la sensibilisation de la population sur l’intégration des survivantes dans la société et l’attitude à adopter face à elles. Pour ce faire, elle organise des conférences débats liés à ces sujets avec les membres des communautés des survivantes à réintégrer. Aussi des interventions dans les médias pour sensibiliser la population. Pour sa part, la coordonnatrice de Biso basi telema estime qu’il est opportun de faire un plaidoyer auprès des institutions gouvernementales pour faire intégrer un article qui condamne la stigmatisation dans la loi contre les violences sexuelles et celles basées sur le genre.
Une prise en charge holistique disponible
Selon Mme Eugénie Kalumba, Directrice chargée de la prévention et protection, de l’Agence Nationale de lutte contre les violences faites à la Femme, à la jeune et petite Fille (AVIFEM), la stigmatisation est l’une des conséquences des violences sexuelles qui nécessite un accompagnement efficace. « Parfois c’est la survivante elle-même de s’auto stigmatisé ou même sa propre famille lorsqu’il s’agit d’un viol. C’est pourquoi, le travail se fait d’abord au niveau personnel de la survivante et ensuite au niveau de la communauté dans laquelle elle vit », relate Eugénie .
D’après Mme Kalumba, l’AVIFEM a parmi ses attributions, la prise en charge holistique des survivant-es de violences sexuelles. Dans ça Il y a la prise en charge médicale, psycho-sociale, judiciaire et juridique, la réinsertion sociale et économique. Cette prise en charge est possible grâce aux formations médicales dont, l’hôpital général de référence de Ndjili du district de la Tshangu, l’hôpital Mère et enfant de Ngaba dans le district de Mont Amba, l’hôpital de Kintambo pour le district de la Lukunga et d’autres partenaires tels que l’hôpital Saint Joseph, etc.
Mme Eugénie affirme qu’après une prise en charge médicale et judiciaire, la survivante et victime de la stigmatisation a besoin d’une prise en charge psycho social pour sa réinsertion socio-économique. La survivante doit être suivie par un psychologue pour reprendre sa vie en main et continuer à vivre normalement.
Parlant de la sensibilisation, Mme Eugénie rapporte que sa structure fait de la sensibilisation au niveau des communautés pour décourager la stigmatisation, le rejet, la discrimination tout en leur expliquant que tout le monde est susceptible à subir une violence ou à être victime de viol.
« Personne n’est épargné, même un homme peut être victime de viol… si on se met à la place de l’autre on peut agir différemment », explique -t-elle. Nous impliquons aussi les hommes dans la sensibilisation comme recommandé, dans la déclaration de Kampala, d’impliquer les hommes dans la prévention et la lutte contre les VSBG.
Créée par Décret n°09/38 du 10 octobre 2009 du Premier Ministre sur proposition du Conseil des Ministres, l’Avifem est une structure technique du ministère de genre famille et enfant qui exécute sur terrain le Plan d’actions prioritaires de la mise en œuvre de la Stratégie Nationale de lutte contre les VSBG.
Il faut reconnaître que la stigmatisation est un phénomène social très commun. Elle mène très souvent à la discrimination de survivantes des VSBG. C’est un phénomène qui touche non seulement les survivantes mais également ses proches. Lorsque la prise en charge n’est pas effective, elle peut induire une survivante à des réactions dépressives, une perte d’estime de soi et une détérioration de la qualité de vie.
Pétronelle Lusamba, JDH