En décembre 2023 les élections présidentielle et législatives seront organisées en RDC. 43 millions neuf cent cinquante cinq mille cent quatre-vingt-un d’électeurs (trices) sont appelés à élire le nouveau président le 20 décembre cette année. Depuis 2006 l’audit du fichier électoral a été soumis à l’audit de l’Organisation internationale de la francophonie OIF. Pour les élections de décembre prochain, le fichier électoral a été audité en mai 2023 par une équipe d’experts Congolais et internationaux recrutée par la Commission électorale nationale indépendante, la CENI. Cela après le refus de l’OIF de le faire cette année.
Vérification en bref :
● L’audit du fichier électoral consiste à évaluer les forces et faiblesses du système d’enrôlement des électeurs et proposer des mesures correctives.
● Le Congo ne dispose pas d’un registre actualisé de ses citoyens depuis les années 90 faute de recensement.
● L’OIF s’estime incapable de faire l’audit du fichier électoral de la CENI en 6 jours et refuse de participer dans cette opération.
● Aucune contrainte légale pour faire l’audit du fichier électoral.
● L’opposition a participé aux élections de 2011 et 2018 malgré leur doute sur le fichier électoral de l’époque.
● Malgré le doute de la fiabilité du fichier électoral, les élections de 2011 et 2018 étaient inclusives.
CONTEXTE
En RDC, l’exercice de la révision du fichier électoral a été soumis depuis 2006 à un audit externe effectué par l’OIF pour sa fiabilité. Exception faite pour l’actuel fichier électoral où cette organisation a estimé ne pas être capable de faire ce travail durant 6 jours comme prévoit le calendrier électoral de la CENI. Dans la plupart des cas, les acteurs politiques ont souvent rejeté les conclusions de la fiabilité publiées par les experts recrutés par la CENI. Ce fut le cas, à titre d’exemple, de l’Union pour la démocratie et le progrès social UDPS, parti au pouvoir actuel qui avait contesté en 2006. Cette situation de contestations, jette le doute sur les données auditées du fichier électoral et de la manière dont est effectué l’audit.
Dieudonné Tshiyoyo Directeur de Cabinet Unique de la CENI affirme qu’il y a un audit interne effectué par la CENI elle-même chaque fois après la révision du fichier électoral et il consiste, à vérifier s’il y a eu des doublons, enrôlement des mineurs ou s’il y a eu l’enregistrement des personnes sans empreintes. L’audit externe ne vient que pour vérifier et renforcer ce qui a été fait en interne. Durant l’audit du fichier électoral, il est aussi question de formuler le cas échéant, des recommandations conséquentes visant à améliorer la qualité et l’intégrité du fichier électoral.
Le 22 mai 2023, le cinq experts recrutés par la CENI avaient publié le rapport de l’audit du fichier électoral qu’ils avaient jugé fiable.
Une fiabilité que les opposants au régime actuel dont Martin Fayulu, Moise Katumbi, Matata Mponyo et Delly Sessanga continuent de rejeter. Pour eux, les conclusions publiées par les experts de la CENI doivent être de nouveau vérifiées à travers un nouvel audit et avec une autre équipe indépendante d’autres experts.
La CENI n’est pas disponible pour collaborer.
Intervenant dans l’émission TV en ligne Marius Town Hall, le Président de la CENI rassure que les élections auront bel et bien lieu comme prévu en décembre prochain et avec le fichier déjà audité :
“Ceux qui demandent qu’il y ait un nouvel audit, qu’ils le fassent eux-mêmes. L’audit du fichier électoral se fait sur base de la liste des électeurs. Le message qui circule selon lequel la CENI aurait refusé un nouvel audit, cela prouve que nous sommes incompris. Ils n’ont qu’à prendre la liste publiée par la CENI et faire leur audit du fichier électoral. Ce qui est vrai est que, la CENI ne peut pas seulement collaborer avec eux car occuper pour préparer les élections”, a-t-il déclaré agacé.
Il ajoute ; “La CENI n’a jamais refusé à une quelconque organisation de faire un audit du fichier électoral car c’est de leur droit”.
Pourquoi des contestations?
Oswald Rubasha un expert électoral estime que les contestations actuelles peuvent se justifier par le fait que, pour la première fois l’audit du fichier électoral a été réalisé par un groupe d’experts recrutés individuellement et non plus, une grande organisation internationale.
Selon lui, il suffit de comparer le taux de progression du corps électoral lors des élections présidentielles et législatives en 2006, 2011 et 2018 par rapport à 2023 pour constater la différence que ce rapport n’a pas expliquée. Un certain nombre des questions sont restées sans réponse, ce qui cristallise la méfiance au travail de la CENI.
“Les différentes opérations de révision des fichiers électoraux reposent sur des incertitudes démographiques, la qualité et l’authenticité des pièces d’identité, ce qui rend peu crédibles les données collectées lors de ces opérations. Notre pays ne dispose pas d’un registre national actualisé des citoyens congolais faute de recensement général des populations congolaises depuis les années quatre-vingt.
Pour le Professeur Trésor Makunya Professeur de droit constitutionnel à l’Université de Goma au Nord-Kivu, “Ceci pourrait retarder le processus électoral en cours. Ce refus plante le décor de contestation des résultats. Il suffit de suivre les revendications de l’opposition pour s’en apercevoir”.
Selon Oswald Rubasha, Expert électoral, les contestations autour de la fiabilité du fichier électoral ont commencé depuis 2006. L’UDPS avait boycotté l’opération de la révision du fichier électoral et les élections. En 2011 comme en 2018, toutes les forces politiques des toutes les tendances confondues avaient participé aux élections au-delà de leurs doutes sur la fiabilité des fichiers électoraux qui, pourtant, ont été audités par les experts de l’OIF.
L’audit du fichier électoral est sans contrainte légale.
Dieudonné Tshiyoyo dans son intervention lors de l’émission; “Tout savoir sur l’audit du fichier électoral” révèle qu’il n’y a pas une contrainte légale, qui oblige la CENI à faire un audit du fichier électoral. Cela démontre que l’exercice de l’audit du fichier électoral fait partie des bonnes pratiques de la CENI. Il affirme cependant que, c’est la CENI qui paie la facture de l’audit. L’équipe des experts mixte composée des Congolais et internationaux a été recrutée par la CENI sur base d’un appel d’offres qu’elle a lancé.
Dans l’appel à candidature publié par la CENI sur la mission d’audit externe du fichier électoral 2022-2023, il fallait être titulaire d’une licence, d’un Master (Bac+5) ou d’un diplôme équivalent en sciences politiques, relations internationales, droit, sciences sociales, démographie, statistiques, sciences informatiques ou du domaine de l’ingénierie pour être recruté dans l’équipe des experts.
Pour Trésor Makunya, “La CENI a l’obligation de produire un fichier électoral fiable. On peut clairement dire que l’obligation indirecte de procéder à l’audit existe. L’audit du fichier électoral découle également de bonnes pratiques électorales des sociétés ouvertes et démocratiques afin de légitimer le processus électoral. Même en l’absence d’un texte contraignant, il permet de jeter les bases de légitimité et d’acceptabilité des résultats. En son absence ou lorsqu’il est mené de manière non consensuelle, il jette de l’opprobre sur la Commission électorale, le fichier électoral dont elle tient et le processus électoral dont elle a la charge d’organiser”.
Des faux électeurs et des faux bureaux de votes.
Le Professeur Trésor Makunya, affirme que, “Le manque de textes juridiques clairs à propos de l’audit du fichier électoral fait cependant que l’on ne sache pas la procédure à appliquer en matière d’audit du fichier électoral : quand faut-il le mener ? Comment ? A quels types d’institutions et d’experts faut-il confier cette mission ? Quelle est la nature et la portée de cet audit ? Voilà les points qu’une réglementation claire devrait clarifier car, si vous voyez le débat autour de l’audit, ces points mettent les acteurs politiques en antagonisme”.
Ce qui fait que l’on pense, poursuit-il; “Que des faux électeurs ont été inscrits, des faux bureaux de vote créés, le nombre des bureaux de vote a été réduit à certains endroits et amplifié ailleurs pour favoriser la majorité au pouvoir et défavoriser l’opposition. Des efforts devraient être fournis pour obtenir un consensus sur cette question”, estime-t-il.
Le rôle des observateurs internationaux de plus en plus
minimisés.
Oswald Rubasha explique que, dans le passé, le consensus autour de l’audit du fichier électoral était obtenu grâce à la crédibilité de l’OIF qui réalisait l’audit à travers ses experts, et ces derniers associaient les experts de la société civile congolaise en qualité d’observateurs.
Selon l’article, “En RDC, l’immense défi des observateurs électoraux” du journal le Monde atteste qu’en 2006 et 2011 sept organisations internationales ont déployé plus de 600 observateurs. Pour 2018, seules quatre organisations internationales étaient autorisées à déployer les observateurs dont 170 observateurs venant de l’Union Africaine, la Southern African Development Community ou Communauté de développement de l’Afrique australe SADC, la Communauté économique des Etats de l’Afrique centrale et une mission parlementaire de la Conférence internationale sur la région des Grands Lacs. Des organisations africaines jugées moins critiques par rapport au pouvoir de l’époque et peu efficaces dans des analyses. L’OIF était limitée qu’à une mission d’information et de contact et cela, sans jouer aucun rôle crucial.
Vingt six candidat-es sont en course pour les élections présidentielles de décembre prochain en RDC. Allez aux élections avec le refus des certaines plateformes électorales par manque de consensus, le Pr Trésor révèle qu’il n’y a aucun problème constitutionnel ou juridique que cela pose :
“Cependant, il faut analyser si ce refus a été poussé par une manipulation des règles constitutionnelles et légales pour décourager ces acteurs à prendre part. Il est des circonstances dans lesquelles les conditions de participation aux élections peuvent être rendues difficiles, par exemple les frais de cautionnement, le seuil électoral, l’incapacité de mener bonnement la campagne électorale, la caporalisation des institutions électorales importantes telles la Commission électorale et la Cour constitutionnelle. Cette situation pose un problème de crédibilité et de légitimité du processus lui-même”.
Oswald Rubasha révèle que, tous les fichiers électoraux depuis 2006 jusqu’à présent ne sont pas extraits du fichier de l’État civil. C’est le péché originel, estime-t-il :
“Pour mettre fin à ces critiques sur le fichier électoral, l’Office national d’identification de la population, ONIP doit absolument faire son travail d’identification des congolais et rendre disponible les cartes d’identité. Et c’est sur base de ce fichier national de l’État civil que devrait être extrait le fichier électoral plus crédible car reposant sur des données démographiques fiables et des pièces d’identité réellement authentiques.”
L’idée de Oswald Rubasha est que le fichier électoral soit issu de celui de l’État civil.
Trésor Mpanda