Photo des creuseurs artisanaux dans une mine de cobalt cfr mines.cd
Premier producteur du cobalt avec plus de 70 % de la production mondiale, la République démocratique du Congo attire de plus en plus d’industriels et d’exploitants artisanaux qui s’adonnent à l’exploitation de ce minerais stratégique. En 2019, avec la création de l’Entreprise Générale du Cobalt (EGC), le Gouvernement congolais a manifesté sa volonté de contrôler le marché mondial du cobalt. La RDC a, dès lors, dévoilé son intention d’encadrer la production artisanale du cobalt, devenu à ce jour un minerai indispensable dans la transition énergétique.
Sur l’ensemble de la production totale du cobalt produite par la RDC, l’artisanat minier contribue à hauteur de 30%, atteste le rapport d’enquête de l’ONG CASMIA (Comprendre et agir dans le secteur minier : Industriel et artisanal), paru à Kolwezi en juillet 2024 sous l’intitulé « Le Libanais Youssef et son Entreprise Tsuna Mining : Le nouveau maitre de l’arbitrage dans la cité minière de Kakanda ».
Photo d’une voiture électrique cfr site de depositphotos
Avec la transition énergétique, l’exploitation du cobalt est devenue précieuse dans l’industrie automobile. Ce minerai est actuellement utilisé dans la production des batteries lithium-ion qui alimentent les véhicules électriques, les smartphones et les ordinateurs.
Face à l’exploitation minière illégale, aux violations des Droits de l’Homme et à la corruption, l’exploitation artisanale des minerais en RDC a souvent été l’objet des critiques. A ce jour, le contrôle de l’exploitation du cobalt échappe encore à la RDC qui n’arrive, pour le moment, à assurer une transition énergétique juste.
Les stratégies de la RDC pour contrôler son cobalt
Pays à économie extravertie, la RDC mise essentiellement sur l’exportation des produits miniers qui sont intégrés dans les chaînes d’approvisionnement mondiales. La forte demande de cobalt sur l’échiquier international, notamment dans l’industrie automobile, a largement influé sur la détermination du Gouvernement congolais qui s’est résolu de le classer, en 2018, au rang de minerais stratégiques aux côtés du coltan.
Cette stratégie a été actionnée pour permettre à la RDC de tirer profit de la chaîne de valeur de ce minerai, explique à cet effet le Code minier congolais, en son article 241, qui fixe le taux de redevance à 10% pour une substance classée stratégique.
En novembre 2019, après le classement du cobalt comme minerai stratégique, le Gouvernement congolais a aussitôt initié la création de l’Entreprise Général du Cobalt (EGC), une entreprise détenue à 95% par la GECAMINES (une entreprise publique locale), avec à peine 5% d’action du Gouvernement congolais.
A travers l’EGC, l’Exécutif congolais s’est engagé à veiller sur l’encadrement de la petite mine avec, comme objectif, d’interdire le travail des enfants et des femmes enceintes dans l’artisanat minier, de préparer les sites pour les artisanaux miniers et de sécuriser les exploitants artisanaux, en leur dotant des équipements de protection.
Cette entreprise a également reçu mission d’encadrer l’achat et la commercialisation du cobalt du secteur artisanal. Ce, afin que ce minerai stratégique contribue à l’expansion de l’économie congolaise, à travers les 100% de ses revenus qui devraient alimenter le trésor public de la RDC.
Les défis dans la gestion de l’exploitation du cobalt
Cinq ans après la création de cette entreprise, l’opérationnalisation de l’EGC se fait attendre. En témoigne le rapport ITIE sur le secteur de l’exploitation minière artisanale et à petite échelle dans la chaîne de valeur du cuivre-cobalt-zinc, publié en mars 2023. “La chaîne de valeur de la filière artisanale cuivre-cobalt s’arrête aux portes des entités de traitement et/ou de transformation. Les produits marchands qui sortent de ces entités sont comptabilisés dans la production industrielle. Et il n’existe pas, dans l’Administration des Mines, un service qui fait le décompte des produits marchands d’origine artisanale.”
“Aux termes de l’article 240 du code Minier, précise ce rapport, la redevance minière est calculée et due au moment de la sortie du produit marchand du site de l’extraction ou des installations de traitement pour expédition. Suivant le point II.2.10 du Manuel des procédures de traçabilité, le calcul et le paiement de la redevance minière se font après la sortie des installations de l’usine de traitement et leur prise en charge par la DGDA. Ce qui fait que, la chaîne de valeur de la filière artisanale du cuivre-cobalt s’arrêtant aux portes des entités de traitement, la redevance minière ne fera pas partie des recettes à prendre en compte.”
Il en est de même pour les frais rémunératoires des services rendus pour qui, aux termes de l’article 234 du code Minier, l’exportation des produits miniers marchands est assujettie à un droit de sortie au titre des frais en rémunération des services rendus dont la hauteur est de 1% de la valeur marchande desdits produits. Cette redevance est payée par les requérants au moment de l’embarquement des lots prêts à l’exportation.
Comme pour la redevance minière, les produits artisanaux, dont le cobalt, étant intégrés à la filière industrielle dès leur entrée dans les entités de traitement, les flux financiers liés au droit de sortie ne peuvent pas être retracées dans la filière artisanale. Dans un pays dont l’architecture économique repose sur l’économie de marché, ce retour au monopole est stigmatisé comme une entrave à la libre concurrence.
Le cobalt est très largement dominé par l’exploitation industrielle. L’artisanat minier ne vient que comme un supplétif de l’activité industrielle. De ce fait, les approvisionnements des entités de traitement et/ou de transformation ne sont pas constitués que des minerais d’origine artisanale.
Dans la plupart de cas, ces entités de traitement et/ou de transformation finissent par se doter de leurs propres permis d’exploitation (PE). Et certaines d’entr’elles se posent en unités industrielles appartenant à de grands groupes miniers avec vocation d’absorber les produits extraits de différents sites miniers du groupe, révèle le rapport ITIE cité ci-haut.
Opacité des données sur la production du cobalt
A ce jour, il est difficile d’obtenir des données fiables sur la part de la production artisanale dans les exportations globales de la RDC. Cette opacité est notamment due à la dominance des circuits informels pour la circulation des minerais et à l’absence d’un mécanisme de traçabilité sur toute la chaîne de l’exploitation artisanale.
Au regard de certaines études, dont celle de l’Institut Fédéral des Géosciences et des Ressources Naturelles BGR, les estimations attestent que le cobalt a contribué à hauteur de 6,79% en 2016, de 20,92% en 2017, de 24,00% en 2018, de 16,43% en 2019 et de 3% à 5 % en 2020.
Plus de 80% du cobalt de la RDC acheminés en Chine
L’essentiel des gisements du cobalt de la RDC est localisé dans la partie Sud-Est du pays, essentiellement dans les provinces du Haut-Katanga et du Lualaba. Le Gouvernement central gère l’exploitation industrielle et les provinces gèrent la petite mine.
Plus de 80% du cobalt produit en RDC prend la destination de la Chine qui intervient directement dans l’exploitation de ce minerai. Ce, à travers les entreprises chinoises implantées localement dans ce secteur en RDC, ou indirectement par l’achat de la production artisanale.
Le minerai prend, dès lors, une autre destination que la RDC. Le comble, c’est que cette richesse ne profite pas à une large portion de la population. On estime à ce propos à plus de 70% de Congolais qui vivent sous le seuil de la pauvreté à l’ère du boom minier. L’on se rend, dès lors, compte la population congolaise n’arrive jusque-là pas à bénéficier de la rente du cobalt, en particulier, et d’autres minerais qui pullulent le sous-sol du pays.
Disparité des chiffres dans l’importation et l’exportation du cobalt
La Chine et les Emirates Arabes Unis/ United Arabe Emirates (UAE) est, jusque-là les deux pays considérés parmi les plus importants clients de la RDC. Ce sont les seuls Etats dont les importations ont été déclarées et détaillées.
En 2020 selon le même rapport ITIE, la RDC avait chiffré à 1.069.149.242 USD le volume d’exportation du cobalt, vers la Chine. Des chiffres, toutefois, non conformes du côté chinois. Selon Pékin, le volume déclaré de l’importation du cobalt congolais à la même année était plutôt estimé à 2.318.324.985 USD. Un montant largement supérieur à celui avancé par le Gouvernement congolais, avec un écart chiffré à 1.249.175.743 USD entre les deux déclarations. Qui dit vrai ? La garantie de transparence s’impose.
Pour la même année 2020, aucune déclaration d’une quelconque importation du cobalt de la RDC n’était signalée au niveau de l’UAE, alors que la RDC, selon sa déclaration, affirmait avoir exporté le cobalt d’une valeur estimée à 210.893.850 USD vers l’UAE.
En 2021, la déclaration de l’exportation du cobalt de la RDC vers la Chine était de loin inférieure à celle déclarée comme importation du cobalt congolais par la Chine. Alors que la valeur du cobalt exporté par la RDC était estimée à 2.364.145.465 USD, du côté Pékin, les statistiques en matière d’importation du cobalt de la RDC faisaient état de 4.488.919.681 USD. L’écart ici entre les deux déclarations est de 2.124.774.216 USD.
L’UAE, pour sa part, n’avait rien renseigné en 2021 lorsque, du côté de la RDC, les données chiffrées révélaient une exportation du cobalt d’une valeur estimée à 318.069.737 USD vers l’UAE.
Les importations de Cobalt de la RDC déclarées par la Chine en 2020 et en 2021 dépassent les exportations déclarées par la RDC, respectivement pour 1.25 et 2.13 milliards de dollars.
L’UAE n’a pas déclaré des importations de cobalt de la RDC en 2020 et en 2021, alors que la RDC avait déclaré des exportations de ce minerai vers l’UAE pour 0.2 et 0.3 milliards de USD, respectivement en 2020 et 2021.
Comment mettre la main sur la production artisanale du cobalt ?
A Kolwezi, la plupart d’activités artisanales d’exploitations du cobalt s’opèrent dans des sites d’exploitations industrielles. Dans cette partie du pays, plusieurs exploitants artisanaux dépendent de ce secteur. Moins structurée, une centaine des coopératives opérant dans la zone ne disposent pas encore de leurs propres sites miniers. Ayant reçu mission entre autres d’encadrer des artisanaux miniers, l’’Entreprise générale du Cobalt a encore du mal à être opérationnelle sur toute la zone exploitée. Sa couverture est censée s’étendra juste sur cinq sites. Une option qui a du mal à satisfaire nombre d’exploitants artisanaux, rapporte la Radio France Internationale. En témoigne un article paru sous l’intitulé : “RDC: L’Entreprise générale du cobalt bientôt opérationnelle”.
« Papy Nsenga, un exploitant artisanal de Kolwezi, est inquiet que l’ensemble des coopératives n’aient pas accès à ces carrés miniers. “Aujourd’hui, nous comptons plus de 200.000 exploitants artisanaux à Kolwezi. La ville enregistre plus d’une centaine des coopératives minières qui n’ont pas de sites propres. Combien d’entre elles vont accéder à ces cinq carrés miniers ?”, s’interroge-t-il dans ce reportage.
Lors d’un entretien téléphonique avec Me Jean-Pierre Okenda un acteur de la société civile engagé pour la transparence du secteur minier en RDC, pour lui, ‘‘l’Etat doit canaliser et concevoir des politiques et assurer que l’extraction du cobalt profite aux communautés locales. Selon lui, “Il n’y a pas, en RDC, une politique publique en matière d’exploitation des ressources minières. Dans le Code minier, un des objectifs est celui d’accroître les recettes de l’Etat. Mais accroître pourquoi faire ?”, s’interroge Me Jean-Pierre Okenda. “On suppose, dit-il, qu’on accroît pour réinvestir l’argent et améliorer le bien-être des Congolais. L’artisanat est devenu un débouchée pour le laissé-pour-compte, car la ruée de la population vers ce secteur l’atteste”.
A sa création, l’EGC avait reçu mission d’exercer, notamment sur toute l’étendue du pays, un monopole d’achat sur le cobalt issu de l’exportation artisanale, nécessitant une transformation préalable à son exportation avant de le commercialiser. Mais, dans la mise en œuvre de cette mission, le flou semble peser sur les exploitants artisanaux. ‘‘On veut faire de l’artisanat minier, un levier pour accroître les recettes de l’Etat ou pour donner de l’emploi aux Congolais ? On a l’impression que l’élite vise, de l’artisanat minier, que la mobilisation des recettes. Nous devons nous mettre d’accord sur ce qu’on veut de l’artisanat minier. Est-ce pour l’emploi ou les recettes ?”, se demande Me Jean-Pierre Okenda.
“Il faut, dit-il, faire des réformes pour formaliser le secteur minier artisanal. Tant que le secteur ne sera pas formalisé, ça va saper la réputation du Congo et du cobalt Congolais. Que ce soit de la production industrielle ou artisanale. Il faut qu’il y ait la traçabilité du cobalt produit par les artisanaux… Pour faire diligence raisonnable, les gens doivent avoir des informations. Mais aujourd’hui, ce n’est pas le cas. Si le Congo veut sortir de cette situation, il faut amorcer des réformes pour aller vers la traçabilité du secteur artisanal’.
Partant de l’importance du cobalt dans la transition énergétique et la position de la RDC qui est le géant dans sa production, l’objectif visé par le Gouvernement Congolais au travers le décret n°18/042 du Premier Ministre, daté de novembre 2018, décrétant le cobalt aux côtés des deux autres minerais comme stratégiques, il est clair que l’objectif est d’ordre pécuniaire.
Il est question maintenant de profiter de la conjoncture économique à l’ère de la transition énergétique en assujettissant la vente de ces substances au taux le plus fort de la redevance minière, qui est de 10% de la valeur marchande brute, conformément à l’article 241 de la loi minière.
Trésor MPANDA