A Kinshasa comme dans d’autres provinces de la RDC, les VSBG battent leurs pleins. Les réseaux sociaux sont devenus des tribunes où des personnes malveillantes exposent et salissent les vies des autres. Les femmes sont particulièrement les plus touchées et beaucoup ne savent comment faire face aux désagréments qui s’ensuivent, et ce pendant que leurs bourreaux circulent librement. Le manque d’une loi spécifique était un frein qui ne permettait pas aux victimes de porter plainte et d’obtenir gain de cause.
Jocelyne et Aude (noms d’emprunt), victimes de harcèlements, chantages, intimidations, menaces à travers des plateformes numériques, ces femmes partagent leurs témoignages poignants.
De l’amour à la haine
Jocelyne, 23 ans, victime de chantage et menace de la part de son ex petit ami.
« Pendant que nous étions ensemble, Il me demandait de lui envoyer des photos intimes. Je le faisais et lui m’envoyait les siennes », confie Jocelyne et d’ajouter ; « Mon calvaire a commencé quand j’avais constaté qu’il me trompait depuis six mois et il y avait de plus en plus des mensonges dans ce qu’il me racontait. Alors je me suis décidée de me séparer de lui », explique-t-elle.
Jocelyne n’en pouvait plus et a rompu avec son copain. Le garçon a tenté à plusieurs reprises de lui faire changer d’avis sans succès. N’ayant pas accepté la décision de Jocelyne, il a commencé à la menacer en balançant ses photos compromettantes sur les réseaux sociaux. Elle était sûre que ce n’était que des menaces en l’air et que son ex n’était pas capable des tels affronts.
« C’est au bout d’une semaine que j’ai réalisé que je m’étais trompé sur la personne. Un de mes proches m’a dit que quelqu’un lui avait envoyé mes photos en petites tenues. Je ne savais pas comment m’y prendre avec l’ami. Rapidement, deux autres amies m’ont confirmé que quelqu’un leur a envoyé mes photos… et là je me suis sentie mal, j’ai eu envie de disparaître… j’avais envie de mourir… en suite je me suis ressaisie et je l’ai appelé pour le supplier d’arrêter, mais lui continuait à me menacer en me disant que ça n’était que le début », raconte Jocelyne avec beaucoup d’émotion.
Le lendemain, Jocelyne réunit ses forces et en a parlé à l’une de ses amies qui l’a calmée. Cette dernière a appelé le garçon en lui disant que ce qu’il faisait, constituait un délit et que s’il continuait, il allait avoir à faire avec la loi parce que Jocelyne allait porter plainte contre lui. A ces mots et avertissements le garçon avait arrêté les menaces et retiré tous ses messages de menaces et images.
Un click fatal
Aude quant à elle, c’est un faux pas qui lui coûtera sa réputation. Elle a envoyé par erreur quelques-unes de ses images en seins nus dans un groupe WhatsApp. Après s’être excusée auprès des amis du groupe, elle les a suppliés d’effacer les photos mais c’était trop tard pour elle. Les photos avaient déjà traversé la Méditerranée. Au bout de quelques heures, elle a reçu de ses proches n’appartenant pas au groupe les mêmes images d’elle. C’était un choc et Aude a vu sa vie s’écrouler comme un château de cartes…. Elle a pleuré, elle s’est déconnectée de tous les réseaux sociaux pour prendre du recul après cet incident. Ce n’est qu’après plusieurs mois qu’elle est rentrée dans les réseaux sociaux mais elle n’a plus jamais intégré un seul groupe WhatsApp.
Selon Elsa Indombe, Directrice adjointe chargée des opérations de l’Union Congolaise des femmes des médias (Ucofem), les Vsbg en ligne constituent une atteinte aux droits fondamentaux de la femme notamment à la vie privée et libertés d’expression dont elle est sensée jouir. Cette violation entraîne des conséquences allant jusqu’à déranger la santé physique et mentale des personnes ciblées.
“Je suis parmi les personnes qui ont salué l’adoption et la mise en œuvre de la loi sur le numérique car, je pense qu’elle pourra remettre de l’ordre dans ce secteur et recadrer les auteurs de ces violences”, fait-elle savoir.
Cette dernière regrette que les réseaux sociaux soient devenus une poubelle ou fourre-tout où chacun vient s’attaquer à qui il veut, régler ses comptes avec les gens en recourant à des faux témoignages ou mensonges par souci, soit de nuire soit, de se faire des abonnés sans se soucier des conséquences que cela peut engendrer dans la famille ou l’environnement immédiat de femmes touchées.
« L’UCOFEM comme structure qui a fait de la défense des droits des femmes dans et par les médias son cheval de bataille, a durant ses 25 ans d’existence toujours condamné ces pratiques. Elle a mené les activités de sensibilisation pour exhorter les femmes à dénoncer toutes formes d’harcèlement vécu en milieu professionnel, scolaire, universitaire et même en ligne car étant maître de son corps, la femme a le droit de dire non à toute attaque malveillante portant atteinte à ses droits ou sa vie privée », poursuit-elle.
En effet pour Elsa Indombe, avoir la loi sur le numérique comme soubassement juridique, est une opportunité que l’UCOFEM saisi pour intensifier les sensibilisations afin d’inciter les femmes à dénoncer et poursuivre les auteurs de ces actes et obtenir réparation après un préjudice.
Sauvegarde de preuves très utile
Pour sa part Eunice Etaka, experte junior en cybersécurité, indique que les Vsbg en ligne empoisonnent la vie de plusieurs femmes et les réduisent au silence.
“Parmi les formes courantes de violence basée sur le genre en ligne on compte : l’intimidation, le Cyber harcèlement, Doxxing, la diffusion de matériel pornographique non sollicité, le deepfake et autres”, fait savoir Eunice.
Selon l’experte, il y a toujours moyen d’attraper les auteurs de ces violences car un passage en ligne laisse une empreinte numérique, c’est-à-dire un enregistrement, un message ou une image qui peut s’avérer utile pour prouver les violences subies et y mettre fin.
Lorsqu’on est victime d’une vsbg en ligne, il faut sauvegarder les preuves de ladite violence, bloquer la personne, le signaler dans la plateforme ensuite en parler à une personne de confiance pour obtenir de l’aide.
Pour Enice Etaka, la loi portant sur le numérique est arrivée à point nommé pour remettre les choses en place car souvent, des gens se donnent beaucoup trop de liberté dans les réseaux sociaux. D’où la nécessité de vulgariser cette loi et permettre à tout citoyen de s’en approprier.
Pour Etaka, en s’appropriant la loi, les femmes seront informées sur comment préserver des preuves numériques et les présenter en cas de nécessité.
La loi portant sur le code du numérique
Promulguée en date du 13 mars 2023, l’Assemblée nationale de la République Démocratique du Congo a ratifié le 04 avril 2023, du 13 mars 2023 portant code du numérique. Cette nouvelle loi sur le numérique, vise à encadrer l’espace numérique congolais en mettant l’accent sur la lutte contre les fausses informations, les diffamations, le cyber harcèlement, les arnaques, la diffusion du contenu tribaliste ou raciste et autres actes qui violent les vies privées des uns et des autres.
Ici l’écrit électronique est admis comme preuve au même titre que l’original écrit sur papier et, a la même force probante.
Selon Me MANZAMBI, avocat, activiste des droits des femmes et de l’enfant, il n’est d’aucun doute que la loi sur le numérique, est venue au point nommé pour réguler tant soit peu l’environnement numérique en Rdc, surtout en une période où les nouvelles technologies et le recours au numérique deviennent plus qu’impératif.
Se basant sur les témoignages des Jocelyne et Aude, Me MANZAMBI estime que le législateur s’est clairement exprimé dans la loi dont question, en considérant les 356 jusqu’à 360 qui définissent quelques infractions liées à la moralité et aux mœurs et en fixe même le régime des peines. Cependant, quant à ce qui est de la procédure à suivre pour la saisine du parquet et/ou le tribunal, à entendre Me Michael M., le législateur renvoie à la procédure générale et ce sont les tribunaux de droit commun qui ont la compétence de connaitre de ces affaires.
Revenant aux cas précis, d’après Me Michael, l’ex petit ami de Jocelyne et ainsi que les amis d’Aude, tomberaient sous le coup l’article 358 qui stipule « Qui conque initie une communication électronique qui contraint, intimide, harcèle ou provoque une détresse émotionnelle, en utilisant un système informatique dans le but d’encourager un comportement haineux, tribal, hostile aux bonnes mœurs et aux valeurs patriotiques est puni d’une servitude pénale d’une amende de cinq cent mille à dix millions de franc congolais. »
En effet pour Me MANZAMBI, ces actes enfreignent également l’article 359 qui dit : « Qui conque aura harcelé, par le biais d’un système informatique ou d’un réseau de communication électronique, une personne alors qu’il savait ou aurait dû savoir qu’il affecterait gravement par ce comportement la tranquillité de la personne visée sera puni de servitude pénale ou de l’un des deux peines. »
Il souligne du moins qu’il serait bon de considérer également les autres lois existantes pour régler de telles questions, telle que le code pénal LII et la loi sur les violences sexuelles.
Pétronelle Lusamba JDH.